La quête de l’IRA – Episode 1 : Haute surveillance

Maitre du Jeu : Lorraine

Joueurs :

  •  Lucile joue Félix Perrin
  • Pierre joue Sigmund Dupont
  • Émilie joue Armand Meunier
  • Claire joue Sophie Belmond

Dublin, décembre 1920

Sophie déposa sa valise sur le lit de sa chambre d’hôtel. La petite pièce offrait le stricte nécessaire pour passer quelques jours dans la capitale irlandaise. Très modeste, le papier peint aux motifs floraux soutenus semblait appartenir à un autre âge. Ce n’était pas le grand luxe, mais elle saurait s’en contenter.

En ouvrant sa valise, elle jeta un coup d’œil à sa montre en cuir fin, ornée d’or et offerte par sa mère lors de sa communion : il était midi passé. Le voyage depuis Paris fut long et éprouvant. Sophie supportait mal les traversées en bateau et se surprit, le nez dans son poudrier, à découvrir son teint de pêche virer au blanc nauséeux. Se détaillant devant le miroir mis à disposition par le personnel de l’hôtel, elle sourit en constatant qu’elle avait bien repris des couleurs. Sa taille mince, ses cheveux courts, son petit nez retroussé et ses grands yeux verts lui donnaient un air faussement candide. Il n’en était pourtant rien. Sophie dépassait déjà la trentaine et sur son visage rondelet commençaient déjà à poindre les marques d’une vie bien remplie.

Comme un rappel à l’ordre, son estomac lui suggéra qu’il était temps de descendre prendre son déjeuner. La jeune parisienne prit tout de même le temps de se changer et de dégainer un dossier cachée dans la doublure de sa valise. Fabriqué par ses soins, c’est dans cet interstice entre deux pans de tissus cannelés qu’elle dissimulait ses documents importants. Précautionneusement, Sophie ouvrit une nouvelle fois son dossier pour en feuilleter chaque page et prendre acte de toutes les informations qu’il contenait.

La première guerre mondiale venait de s’achever, mais les conflits internes éclataient aux Royaume-Unis et un climat difficile s’était installé. L’immigration forte aux États-Unis avait considérablement réduit la population, ce qui impacta grandement l’Irlande. Le début du 20ème siècle s’était donc marqué par la cause indépendantiste dans la région.

Toujours rattachée à l’Angleterre, l’armée irlandaise tenta un coup de force lors d’une insurrection en 1916, clamant sa volonté d’indépendance. Ce fut un échec, mais celui qu’on appellera le Sinn Féin —une institution qui prônera la cause indépendantiste— remportera une élection en 1918 et proclamera l’indépendance de l’Irlande. Un parlement sera mis en place et un élu du Sinn Féin, Michael Collins, participera à l’insurrection. En quatre ans, il déploiera sur tout le territoire un important réseau d’espionnage. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne le traque sans répit et rêve de lui mettre la main dessus. Collins a des moyens financiers assez conséquents et sa tête était mise à prix à 1000 £. De quoi attirer facilement les mercenaires ou les opportunistes en manque d’argent.

Les Britanniques étant formellement opposés à cette nouvelle politique indépendantiste vont vouloir y mettre un terme. Le ton va monter entre le RIC (la milice de la grande Bretagne) et la résistance irlandaise. Cette dernière s’organisait déjà depuis 1919, se donnant le nom de “Irish Republican Army” ou “IRA”. Les effectifs de la milice anglaise n’étant pas suffisants pour contenir cette révolte, en plus de l’armée régulière, des auxiliaires ont été recrutés parmi d’anciens militaires de la guerre (et qui sont payés 10 schillings la journée). Les Black and Tans, appelés ainsi à cause de leurs costumes, étaient officiellement présents pour soutenir l’armée anglaise.

Toute cette tension entre l’IRA et les Black and Tans faisait de Dublin gigantesque une poudrière prête à exploser. La mèche était prête et Sophie craignait que son petit groupe de touristes en devenait l’allumette. “Cette couverture est d’une crédibilité sans faille” se disait-elle, sarcastique. Qui irait s’amuser à faire du tourisme dans une région aussi tendue que l’Irlande à cette période ?

Mais sa réflexion coupa court. On toqua à sa porte. Sophie referma son dossier pour le ranger dans sa valise, récupéra sa veste posée sur la chaise de bureau et vint à la rencontre de son visiteur.

Derrière la porte se trouvait Félix Perrin, adossé sur le mur du couloir. C’était un homme assez jeune et ses cheveux bruns, ébouriffés lui donnaient un air à mi-chemin entre le désir de rébellion typiquement adolescents et le malheur d’être resté posté trop longtemps derrière la soufflerie Eiffel. Il avait un visage légèrement anguleux et se tenait nonchalamment sur deux échasses qui lui servaient de jambes. À ses côtés, au bout d’une laisse, se prélassait un jeune Beagle. Son regard intelligent et sa truffe humide témoignaient de sa bonne santé et de son caractère joueur. Son collier était serti d’une petite médaille dorée gravée et le présentait en caractère majuscule : LEWIS.

Lorsque Sophie apparut dans l’encadrement de la porte, le chien l’accueillit avec des petits jappements bienheureux.

“Les autres nous attendent dans le hall. Nous sommes tous prêts à partir.” l’informa Félix, la bouche déformée en un sourire amical.
— Tu ne crains pas que ton chien soit trop jeune ?
— Non ! Lewis est bien dressé ! Il a du flair et je compte bien profiter de ma marche en ville pour lui faire sa petite promenade !”

Sophie lui répondit par une moue dubitative, avant de l’accompagner vers le hall de leur hôtel. Une fois sur place, elle parcourra la salle du regard. Le haut plafond donnait un air bien plus luxueux que ne pouvait le laisser lui présager la sobriété de sa chambre. Un comptoir, tenu par un réceptionniste aux aguets, gardait fièrement l’entrée. À leur droite, des petits fauteuils et banquettes furent installés pour permettre aux clients de patienter. Sigmund Dupont, lui, s’impatientait, posé confortablement dans l’un d’entre eux. C’était un homme pas plus âgé que Sophie et (contrairement à Félix) avait des cheveux noirs soigneusement plaqués en arrière, qui mettaient en valeur son visage glabre allongé et son menton fendu. Ses petits yeux perçants et son nez un poil trop gros étaient rehaussés de minuscules lunettes à bords fins. Il portait modestement une veste en tweed olive bon marché. En les voyant arriver, il piétina d’impatience :

“Vous êtes en retard… siffla-t-il entre ses dents droites. Ce n’est pas très sérieux et notre bras armé est déjà parti.
— Armand voulait se rendre directement chez son contact pour préparer le terrain, expliqua Félix. Il souhaitait prendre de l’avance et n’avait pas l’air de vouloir de notre compagnie.
— Dans ce cas, hâtons-nous de partir, proposa Sophie dont la faim n’était toujours pas rassasiée. Nous prendrons un encas sur la route.”

***

Armand Meunier était un jeune homme de vingt-quatre ans, fort bien bâti et à l’allure confiante. Progressant d’un pas rapide dans les rues de Dublin, il longea la Liffey et son estuaire sculptées dans le granite, prit une grande bouffée d’air frais revigorante et sortit de la poche intérieure de sa veste une petite boîte contenant ses Davidoff. Fraîchement importés de Suisse, ces cigares étaient un de ses pêchés mignons. Il en fumait au moins trois par jour, (si ce n’était plus) malgré les avertissements de son médecin. De même que pour la chair, la nourriture et le bon vin : Armand ne se privait jamais d’un petit plaisir. Malgré son corps d’athlète, la naissance d’un léger embonpoint au niveau de sa ceinture pouvait en témoigner.

Comme un cadeau du ciel, il passa devant la façade d’une pâtisserie où la vitrine laissait entrevoir les diverses douceurs sucrées entreposées sur les étales, à la vue de tous, n’attendant que d’être goûté par les plus curieux. Armand nota l’adresse dans un coin de sa tête et se promit d’aller s’en acheter après son rendez-vous. Pour oublier ces petites douceurs, il consulta son carnet de voyage. C’était un petit livret noir bordé de cuir dont les pages, jaunies par le temps, se noyaient sous des notes tracées à la va-vite. Il traversa un des neuf ponts dublinois, disséminés sur l’estuaire et se dirigea vers un restaurant.

Armand connaissait son gérant, mais ce n’était pas ce qu’on pouvait appeler un ami de longue date… C’était plutôt une lointaine connaissance, fruit de sa collaboration distante avec les organisations mafieuses marseillaises. Ce n’était pas une information qu’il criait sur tous les toits, mais il en fit partie à une époque, gravitant à la limite de la zone d’influence, s’impliquant peu… Il attira l’attention pour ses capacités physiques et de son esprit de meneur avéré. C’était un fait, Armand était né pour diriger des hommes et il n’avait pas froid aux yeux. Réfléchit et débrouillard, sa capacité d’adaptation et d’improvisation ont tapé dans l’œil des dirigeants des services secrets français.

Dans son calepin, il y nota les renseignements sur sa mission, ainsi que sur ses nouveaux équipiers, dont le talent restait à prouver.

Le premier membre était Félix Perrin, un journaliste à la petite semelle, toujours à la recherche d’un bon scoop, accompagné de son fidèle compagnon de route Lewis, un beagle survolté. Armand restait contre l’idée de travailler avec un journaliste, surtout ici. S’il commence à fourrer son nez partout, il risquerait de leur attirer des emmerdements. Le médecin de bord est Sigmund Dupond, un psychanalyste et prêcheur de bonne conduite, très conservateur et droit dans ses chaussures. Celui-là, Armand l’aimait bien, même s’ il le trouvait un peu coincé sur les bords. Enfin, la seule femme du groupe : Sophie Belmond. Une simple bibliothécaire de la banlieue parisienne. Ses seuls atouts, pensait-il, étaient sa petite taille passe partout et sa fonction d’interprète.

“On m’a refilé des amateurs…” souffla-t-il

La situation au Royaumes-unis préoccupait le gouvernement français; qui prit l’initiative d’envoyer des agents évaluer la situation. L’équipe d’Armand était simple : récupérer des informations sur l’évolution de la situation en Irlande. Son contact à Dublin : un certain Marcus Wall était le tenancier d’un petit restaurant en plein centre-ville et idéalement situé pour s’en servir de base d’opération.

Depuis la grande guerre, la capacité et l’influence des services secrets français étaient plus que dérisoires… Armand avait bien remarqué ce qui se passait dans les grandes instances du gouvernement. La France, grande puissance mondiale, avait affaire à ces deux émergences que sont la URSS et les Etats-Unis qui lui demandait des sommes colossales pour éponger leur dette de guerre. Le SR était ridicule et sous évaluée, ou plutôt, elle était efficace, mais personne n’y portait un quelconque intérêt. Il n’y avait qu’une vingtaine de personnes à postes permanents au siège de Paris. De l’armée, le gouvernement n’attendait rien de moins que le suivi, au jour le jour, de l’ordre de bataille des autres armées. Leur intervention en Irlande était loin d’intéresser les hautes instances du pays, mais la SR se voulait d’être irréprochable et prouver son utilité dans l’espionnage international. La mission d’Armand et de son équipe, bien que négligée par le pouvoir, était importante pour la valorisation de leur service et de son futur développement, en tout cas c’est que l’officier en avait conclu. Il devait donc revenir avec un rapport impeccable, sans aucune fausses notes.

Au bout d’une vingtaine de minutes de déambulation, Armand trouva l’adresse du restaurant que son contact lui avait communiqué. Il passa la porte d’entrée, regarda sa montre et parcoura la salle d’un regard morne. Malgré le cadran qui affichait midi passé, l’établissement n’était pas des plus rempli ; trois personnes, (sans doute habituées) constituaient la seule clientèle.

Un homme à la mine grave, maigrelet et au costume défait (sans pour autant paraître négligé), lui fit un signe de tête depuis le fond de la salle. Répondant à l’invitation, l’espion français vint directement à sa rencontre. Ils se saluèrent par une brève poignée de main protocolaire et Armand lui commanda un Irish Stew avant de s’asseoir à une table. Le chef revint vers lui quelques minutes plus tard et déposa son assiette d’agneaux au parfum plus qu’alléchant. Armand ne parlait, ni ne comprenait l’anglais et il comptait sur ses coéquipiers pour jouer les traducteurs à sa place. En revanche son ami parlait bien français, malgré quelques lacunes et un accent à couper au couteau, ils parvenaient à se comprendre.

“Salut Marcus. Comment vont les affaires ? demanda Armand, machinalement. Menant son enquête sous des questions faussement banales.
— Comme tu peux le voir, pas très bien. lui confia le concerné. Les gens ne veulent pas sortir de chez eux pour profiter d’un Colcannon*. La situation est tendue. L’Irlande essaie de déclarer son indépendance, mais la Grande-Bretagne s’y oppose. ça va bien faire quinze ans que j’ai emménagé ici et je n’ai pas vu un tel bazar depuis la guerre. M’enfin… Tu vois ce que je veux dire. Beaucoup d’irlandais se font arrêter, des membres de cette organisation là… l’IRA, tente des coups de force à leur échelle. C’est une petite milice irlandaise et clandestine qui organise des frappes isolées. C’est comme à Marseille, mais en un peu plus bruyant… Tu vois l’idée ?
Armand émit un petit son d’approbation en avalant un morceau d’agneau gorgée de sauce. Il se régalait.
— Tu ne saurais pas où je pourrais contacter des membres de cet I.R.A ?
— Ce ne sera pas facile. Comme ils se cachent de la milice, trouver ces hommes est presque impossible. En général, ce sont eux qui te trouvent.
—D’accord. conclut Armand en sauçant son assiette avec un morceau de Garlic Bread. Et notre plan tient toujours ?
— Oui oui ! Toi et tes amis pouvez emprunter la réserve le temps de ton séjour ! Pas de problème.”

Ils discutèrent du bon vieux temps et de l’époque où ils n’étaient encore que de jeunes loups parcourant les rues pavées et étroites de la cité Phocéenne. L’après-midi s’entamait bien vite et Armand décida de laisser son comparse nettoyer ses tables pour faire un tour dans le centre ville. Il avait laissé ses instructions à l’hôtel. Le reste du groupe devait venir le rejoindre dans le restaurant de Marcus en fin de soirée pour faire le point le soir… En tout cas c’est ce qui était prévu.

Quittant le restaurant sous le salut de son contact, Armand eut tout de suite la bonne idée de retourner vers la pâtisserie pour se faire un petit plaisir en dessert. Remontant la rue un peu lourdement, la digestion commençant à faire son œuvre, il se sentit tout à coup mal à l’aise. Sans réduire son allure, Armand tout en jeta un regard furtif par-dessus son épaule. Il aperçut alors un homme vêtu d’un chapeau et d’un manteau long marcher à bonne distance derrière lui. Était-ce un simple passant ? Ou alors…

Pour en avoir le cœur net, l’officier fit mine de rien, arriva à la hauteur de la pâtisserie, mais ne s’arrêta pas. Il continua sa marche d’un pas plus pressé, puis décida de faire le tour du pâté de maison. L’espion prit une rue sur la gauche, puis arriva à un carrefour et repris encore à gauche. Il s’arrêta devant la vitrine d’un tailleur, feignant d’être intéressé. L’inconnu était là, à l’angle de la rue. Armand soupira. Cette fois-ci c’était très clair, il était bel et bien suivi.


* Purée irlandaise à base de feuilles de chou et des oignons

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