Les Malheurs de Sophie (Scion) – Épisode 40: Mauvais Numéro

Téléphone rouge, le, exp: ligne de communication directe non-téléphonique, établie le 30 août 1963 entre les États-Unis et l’Union soviétique. Sa dénomination vient de la symbolique de la couleur rouge dénotant d’une ligne d’urgence. S’il est souvent présenté comme un dispositif permettant de prévenir les crises et l’escalade, sa mise en place peut être faite dans un but essentiellement psychologique et politique : rassurer les populations contre le risque de guerre accidentelle, montrer une amélioration des relations entre deux États, etc.

“Mohamed.

– Madame, salua-t-il poliment. Que me vaut votre appel?

– Ne tente pas de paraître plus idiot que tu ne l’es. Cela ne te va pas et me fait perdre mon temps.

– …Bien, madame.”

Une pause. Puis un soupir au bout du fil. “Tu me sembles sensé, Mohamed. Plus que mon neveu, et plus que cette mercenaire qui vous accompagne. Et, si tu as la moitié du bon sens que je te prête, tu sais parfaitement bien que votre petite rébellion a assez duré.”

Mohamed ne répondit pas.

“Vous ne savez pas ce que vous faites, ni ce que vous avez fait. Vous ne comprenez pas la taille des rouages sur lesquels vous dansez à l’aveugle, l’amplitude des plans que vous décidez de froisser et de retarder avec votre refus d’obtempérer. Vous ne voyez qu’à votre petite échelle mortelle,” et Mohamed n’était pas sûr si l’odeur âcre qui montait soudain venait de l’accident ou du dédain qui empoisonnait la voix de la déesse grecque. “Vous ne savez pas ce qu’elle fera, ce qu’elle causera, cette créature que vous ne voyez que sous les traits d’une enfant.

– C’en est une.

– Le Destin en a décidé autrement même si tu te refuses à l’accepter, petit Scion. C’est un louveteau que tu laisses entrer dans notre bergerie, et quoi que tu fasses, quoi que tu lui apprennes, il lui poussera un jour des dents trop grosses pour résister à l’envie de mordre.”

Son interlocutrice prit une profonde inspiration au bout du fil, le calme remplaçant la colère, et le téléphone cessa de vibrer furieusement dans la main de Mohamed. “La Titanomachie exige ce genre de sacrifice. Toi et tes petits camarades ne pouvez pas prétendre vous en offusquer, pas après avoir été à notre service pendant si longtemps. Au moins nous, les Dieux, avons la décence d’offrir une raison à nos sacrifices: combien de Titans peuvent en dire autant?

Furtivement, Mohamed repensa aux yeux sincères, au sourire humain et aux explications si riches qui leur avaient été offertes au cœur d’une centrale détruite. Il résista à l’envie de donner une réponse honnête à la question rhétorique ainsi posée, demandant à la place: “Que voulez-vous?

– Ce qui m’est dû.” La voix se fit impérieuse, impériale, digne d’une déesse et d’une reine. “Ramenez-moi la Titanide, comme vous auriez dû le faire depuis bien longtemps. Votre punition en sera… largement réduite.

Quelles assurances avons-nous que nous survivrons, madame? Nous avons déjà été la cible de plusieurs attaques de votre part, rien ne nous dit –

Si tu considères ces modestes manifestations divines comme un assaut de ma part, tu es plus sot que je ne le pensais.” Pour la première fois depuis le début de la conversation, un amusement perçait depuis l’autre bout du fil. “Je suis Héra au trône d’or, la reine des Olympiens, la plus puissante Déesse de mon Panthéon. Si j’avais voulu vous briser de suite, penses-tu vraiment que je me serais contentée d’un marqueur routier et de quelques illusions? Que je n’aurais pu déchaîner une vengeance plus terrible que celle dont j’ai frappé Io ou Héraklès?

Mohamed déglutit une nouvelle fois, la bouche sèche. “Alors pourquoi –

– Je trouve l’assassinat… peu élégant. Je préfère vous laisser une dernière chance; savoure cette preuve inédite de ma générosité.” Son interlocutrice marqua une pause significative avant de reprendre d’un ton lourd de sous-entendus: “Bien sûr, elle ne vient pas gratuite. Tu connais mon prix, petit Scion.”

Le regard vairon du fils d’Horus se dirigea malgré lui vers sa propre voiture. Il ne pouvait pas voir à travers les vitres teintées, mais la silhouette de Sophie se détachait tout de même assez bien en contre-jour, assise sur la banquette arrière à attendre patiemment, la cage de transport de Mia sur les genoux. Elle se pencha en avant comme pour mieux voir lorsque Lyanna et Nathan, toujours debouts près de son véhicule à échanger avec les agents de la sécurité, s’agitèrent d’un air offusqué suite à une déclaration à mi-voix qu’il venait de manquer.

Mohamed se permit un exercice de pensée. S’il révélait leur position à la déesse, ou si les agents des forces de l’ordre présents arrivaient à se libérer de l’effet intimidant de son aura et la contactaient d’eux-mêmes, que se passerait-il? La reine ferait sans le moindre doute pleuvoir des vagues d’ennemis d’un calibre mythique autrement plus important que le sien. Venir à bout de trois Scions serait une affaire de quelques minutes.

Voire plus court, si Nathan et Lyanna n’étaient que deux à combattre.

Ses instincts hurlaient à cette simple suggestion, mais force lui était de constater que la Dame lui avait fait cette offre, et pas aux autres, malgré son utilisation d’un pluriel collectif pour désigner la ‘punition’ à venir. S’il était le seul à tourner le dos à ses camarades, s’il parvenait à se faire pardonner en lui offrant plus que ce qu’elle recherchait, peut-être survivrait-il.

Puis la silhouette frêle dans la voiture changea de position et Mohamed se souvint que dans cet exercice de pensée, il n’avait compté que les trois combattants, Nathan Lyanna et lui-même, sans même penser à ce qu’il adviendrait à leur jeune charge. Toute hésitation disparut, remplacée par une détermination sans faille. “Je suis désolé, madame, dit-il lentement dans le combiné. Mais nous n’avons pas de Titanide avec nous. Vous faites erreur.”

Un léger grésillement s’échappa du combiné alors qu’une furie distante mais divine le faisait lentement surchauffer. Malgré tout, la voix de son interlocutrice restait d’un calme exemplaire lorsqu’elle l’avertit: “Attention, Mohamed. Sois sûr de ton choix, c’est le dernier que je t’offre. Es-tu sûr que tes petits camarades feraient le même?

– Je ne sais pas, madame. Vous ne le leur avez pas demandé.” Mohamed se redressa, savourant les dernières minutes où l’épée de Damoclès n’était pas encore définitivement accrochée au-dessus de leur tête. “Ma réponse est non. Au revoir, madame.”

Et il referma le clapet du téléphone.

Le bruit sec lui parut étonnamment fort – et attira l’attention de ses camarades comme des agents des forces de police, coupant net leur discussion animée. Le Scion d’Horus fit les quelques pas qui le séparait du groupe et tendit le téléphone presque brûlant vers le policier. “Je vous rend ceci. Nous en avons terminé.”

L’agent sembla trop estomaqué pour protester et ne fit qu’une grimace de surprise douloureuse lorsque son appareil fut lâché dans sa paume. Nathan, lui, releva un regard horrifié vers son collègue. “Tu – ? Est-ce que?

– Oui.

– À la – à elle?

– Il semblerait.

– Tu es complètement dingue??

– Possiblement.” Mohamed se redressa, toisant de toute sa hauteur les agents de la circulation et les policiers qui l’avaient fait sortir de la voiture. Il savait qu’ils n’avaient pas de quoi les retenir indéfiniment, surtout après ce qu’il venait de faire, mais si elle avait le temps d’agir avant eux, ils risquaient de rester bloqués à sa merci.

Il fallait agir vite et efficacement. “Messieurs. Si je ne suis pas en état arrestation, je devrais être libre. Pouvons-nous repartir sans crainte d’être poursuivi?”

Les deux agents échangèrent un coup d’œil incertain, le brouhaha de la foule paniquée et en colère résonnant toujours derrière eux.. Le Scion d’Horus força un peu plus sur son sekem: le temps pressait, et il préférait s’éloigner rapidement du point de contrôle avant que des agents de la déesse ne les retrouve. Fort heureusement, il était peu probable que de simples mortels aient une liaison directe avec une divinité, ce qui les empêchait de rapporter leur position exacte en temps réel. Tout avantage était bon à prendre.

Et le Destin sembla lui sourire, puisqu’au bout de quelques secondes le policier plus haut gradé rangea rageusement ses menottes. “Hors de ma vue, grinça-t-il. Si je vous reprends à causer la panique –

– Nous vous signalerons tout fauteur de troubles, monsieur l’agent, s’empressa de dire Nathan d’un ton mielleux. Merci pour votre compréhension. Lyanna, tu reprends le volant?”

 ——————–

Ce fut après quelques minutes de conduite absolument silencieuse, tous éberlués qu’ils étaient à avoir résolu cette crise aussi… bon, peut-être pas facilement, mais rapidement en tout cas – “Tu lui as RACCROCHÉ AU NEZ!

– Je n’avais pas d’autre choix, se défendit Mohamed. Cette conversation lui servait surtout à gagner du temps! Nous devions partir avant qu’elle ne nous repère plus précisément!

– Ouais, mais quand même, insista Lyanna d’un ton incrédule. Tu lui as raccroché au nez!!

– Je vous admire, toi et ton inégalable audace,” déclara Nathan très sincèrement.

Malgré tout, aucun des trois Scions ne disait tout haut ce qu’ils savaient tous, à savoir que ce n’était probablement pas tout ce que la déesse avait offert à leur collègue. C’était pas le moment et c’était pas utile.

“Par contre, reprit le Grec après une courte pause, va falloir qu’on décide a) ce qu’on fait et b) où on va.

– Notre destination risque de dépendre de nos actions à venir, fit remarquer Mohamed. Nous ne pouvons pas uniquement fuir à l’aveugle. Il nous faut… une protection suffisante, des alliés.

– Des alliés,” répéta Lyanna. Une idée commença à germer dans son esprit. “Hey, Nathan. Qui s’occupe de rendre la justice divine dans ton panthéon?

Le Scion d’Hadès fronça les sourcils. “Zeus la plupart du temps, pourquoi?

– Ben…” Lyanna laissa sa phrase en suspens. Il y eut quelques secondes de battement.

Puis Nathan glapit “Tu veux que je contacte Zeus, roi de l’Olympe, pour accuser son épouse divine de haute trahison?! Mais ça va pas???

– Peut-être avec un peu plus de diplomatie, concéda Mohamed.

– Oui, on va déjà voir si c’est réglo avec lui ou pas –

– On va rien voir du tout, on va se faire atomiser avant qu’on puisse ouvrir la bouche, siffla Nathan comme un serpent. C’est l’idée la plus crétine que j’ai entendue!

– Ah ouais, pourquoi?”

Le Grec commença à compter sur ses doigts. “Déjà, jamais il va nous croire. Ensuite même si c’était le cas, il sera jamais impartial entre sa femme, reine de l’Olympe, et trois random Scions en compagnie d’une Titanide. Et encore, ça, c’est si on est reçus, parce que je sais pas si t’as remarqué, mais on parle de Zeus, roi de l’Olympe et chef d’un panthéon!

– Et ton oncle, releva Mohamed. Cela ne compte-t-il pas?

– Je suis un de ses nombreux neveux qui ont été légitimement reconnus, il va pas en avoir grand-chose à faire de moi.

– Ouch,” grimaça Lyanna devant le rappel de la dure réalité. Effectivement, rares étaient les divinités qui prenaient vraiment le temps de connaître leur descendants, que certains considéraient même ouvertement comme des armes ou des pions plus que leurs propres enfants.

Elle mit le clignotant et s’engagea sur une sortie qui lui semblait à la fois les sortir de la banlieue séoulite et rester assez dense en terme de bouchons, tout en entendant le Scion à sa droite argumenter à mi-voix: “L’on peut quand même imaginer que la présence même de Sophie, et idéalement son témoignage, nous servirait de preuve de ce que nous avançons.

– Explique-moi comment.

– Si Zeus ignore tout de l’existence de cette Titanide, cela ne signifie-t-il pas que son auguste épouse a agit sans son aval?

– Son auguste épouse – tu sais quoi, j’adore cette périphrase-là, c’est ma préférée.”

Du coin de l’œil, Lyanna vit Mohamed hausser un sourcil patient. “Peut-être, finit par admettre Nathan. Nos consignes étaient d’être aussi discrets que possible, et si elle bossait dans le dos de son panthéon, ça fait sens; on n’a pas rencontré d’autres Scions Grecs, ce qui me paraît surprenant pour un plan de cette envergure; et à part Elric on n’avait pas de soutien de sa part. Peut-être que ça peut marcher.

– Nickel!

– MAIS.” Le rétroviseur renvoya le reflet d’un doigt ganté qui se levait. C’était assez comique. “Mais, fit le blond. Va me falloir une montagne.”

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